En Moldavie, il est «peut-être trop tard pour une révolution»
Par petits groupes d’amis, toute la journée d’hier, jeunes et vieux se sont rassemblés au centre de la capitale, Chisinau, pour inspecter les dégâts de la veille et continuer à manifester contre le pouvoir communiste. «Nous voudrions juste que notre pays devienne européen», expliquait hier Radu, 22 ans, déployant un grand drapeau moldave devant le bâtiment aux fenêtres brisées et carbonisées du Parlement. Les rideaux pendent par lambeaux aux fenêtres, mais déjà on s’active à l’intérieur pour y remettre de l’ordre. L’ambiance au centre-ville était plus détendue. Un mince cordon de policiers, boucliers posés sur l’herbe, suffisait à garder le siège du Parlement et de la Présidence, assailli la veille et reconquis par les autorités dans la nuit de mardi à mercredi.
Identité. Le président communiste, Vladimir Voronine, semblait reprendre la main, par un mélange subtil d’attaques rhétoriques et de retenue sur le terrain. Il a menacé d’employer la force en cas de nouveaux débordements et accuse la Roumanie - dont la Moldavie fit partie avant d’être annexée par l’URSS puis d’accéder à l’indépendance en 1991 - d’avoir encouragé les troubles. L’ambassadeur roumain a même été expulsé hier. Le sujet est particulièrement sensible dans ce pays à l’identité encore fragile. Une partie des jeunes manifestants rêvent de fait d’une réunification avec la Roumanie, qui permettrait l’adhésion accélérée à l’Union européenne. Mais la plupart des Moldaves, y compris critiques vis-à-vis du régime, sont maintenant attachés à leur pays.
Dans la rue, les manifestants restent enragés. «Aux élections dimanche, les autorités ont prétendu que le parti communiste avait remporté 90 % des voix parmi les votants en Italie, lance ainsi Svetlana, 25 ans, étudiante en relations internationales. Comment serait-ce possible que 90 % des Moldaves qui doivent quitter leur pays pour trimer à l’étranger soutiennent ce régime ? » Les falsifications ont été «énormes», dénoncent les manifestants. Le parti communiste s’est arrogé 50 % des voix et 61 sièges sur 101 au Parlement, soit juste le nombre nécessaire pour élire un nouveau président.
Avant les élections, les sondages le créditaient plutôt de 35 % des suffrages. «Regardez, ils ont même tamponné deux fois ma carte d’électeur, tellement ils faisaient n’importe quoi le jour du vote», s’écrie Nadedja, une retraitée de 60 ans, en brandissant sa carte. «Pour quarante années de travail, j’ai droit à une retraite de 400 lei [27 euros], enchaîne-t-elle. Et partout je vois les usines fermées. Tout le monde doit partir travailler à l’étranger, laver les culs des Italiens… Comment pourrait-on voter communiste ?» A ses côtés, Zina renchérit : «Je voudrais tuer tous nos dirigeants qui ont mis le pays dans cet état. A 48 ans, je ne trouve déjà plus de travail. Je suis prête à laver les sols s’il le faut. Ici, une femme n’est plus bonne qu’à la prostitution».
Vladimir, jeune homme d’affaires de 29 ans rencontré devant le siège de la présidence, en veut aussi à la politique économique de Voronine. «Sous cette appellation de "communiste" se dissimulent les pires capitalistes peut-être de toute l’Europe. Toutes les richesses du pays sont accaparées aux mains de quelques proches du Président, et malheur à celui qui veut développer son propre business.» Vladimir raconte avoir lancé son entreprise de transport routier, puis renoncé, écrasé par les impôts et les pots-de-vin à verser.
Vaquer. Autour de la place du Parlement, les habitants continuaient pourtant hier à vaquer, sans trop se soucier de la tentative de révolution en cours. «Beaucoup de gens s’en foutent, chacun préfère s’occuper de ses affaires», explique un chauffeur, qui partage ses journées entre les meetings et son taxi. Sans vraiment apprécier le pouvoir communiste, beaucoup de Moldaves lui savent gré d’avoir permis une certaine libéralisation de l’économie et d’avoir su aussi maintenir de bonnes relations autant avec la Russie que l’Union européenne.
«Peut-être arrivons-nous trop tard pour une révolution», commence à douter Svetlana, 25 ans, l’étudiante en relations internationales. «Vu le chaos aujourd’hui en Ukraine et en Géorgie [deux pays de l’ex-URSS célèbres pour leurs «révolutions» ces dernières années, ndlr], beaucoup ont peur d’une nouvelle révolution. La conjoncture internationale n’est pas très favorable non plus, relève la future experte. Au moment où Obama veut tenter un nouveau dialogue avec la Russie, l’Occident ne veut pas irriter Moscou en soutenant une nouvelle révolution dans son arrière-cour.» Svetlana et ses amis expliquent ainsi l’étonnant rapport de l’OSCE qui a jugé les dernières législatives globalement «conformes» aux normes internationales. Les étudiants de Chisinau se sentent un peu abandonnés.
http://www.liberation.fr/monde/0101561034-en-moldavie-il-est-peut-etre-trop-tard-pour-une-revolution
Identité. Le président communiste, Vladimir Voronine, semblait reprendre la main, par un mélange subtil d’attaques rhétoriques et de retenue sur le terrain. Il a menacé d’employer la force en cas de nouveaux débordements et accuse la Roumanie - dont la Moldavie fit partie avant d’être annexée par l’URSS puis d’accéder à l’indépendance en 1991 - d’avoir encouragé les troubles. L’ambassadeur roumain a même été expulsé hier. Le sujet est particulièrement sensible dans ce pays à l’identité encore fragile. Une partie des jeunes manifestants rêvent de fait d’une réunification avec la Roumanie, qui permettrait l’adhésion accélérée à l’Union européenne. Mais la plupart des Moldaves, y compris critiques vis-à-vis du régime, sont maintenant attachés à leur pays.
Dans la rue, les manifestants restent enragés. «Aux élections dimanche, les autorités ont prétendu que le parti communiste avait remporté 90 % des voix parmi les votants en Italie, lance ainsi Svetlana, 25 ans, étudiante en relations internationales. Comment serait-ce possible que 90 % des Moldaves qui doivent quitter leur pays pour trimer à l’étranger soutiennent ce régime ? » Les falsifications ont été «énormes», dénoncent les manifestants. Le parti communiste s’est arrogé 50 % des voix et 61 sièges sur 101 au Parlement, soit juste le nombre nécessaire pour élire un nouveau président.
Avant les élections, les sondages le créditaient plutôt de 35 % des suffrages. «Regardez, ils ont même tamponné deux fois ma carte d’électeur, tellement ils faisaient n’importe quoi le jour du vote», s’écrie Nadedja, une retraitée de 60 ans, en brandissant sa carte. «Pour quarante années de travail, j’ai droit à une retraite de 400 lei [27 euros], enchaîne-t-elle. Et partout je vois les usines fermées. Tout le monde doit partir travailler à l’étranger, laver les culs des Italiens… Comment pourrait-on voter communiste ?» A ses côtés, Zina renchérit : «Je voudrais tuer tous nos dirigeants qui ont mis le pays dans cet état. A 48 ans, je ne trouve déjà plus de travail. Je suis prête à laver les sols s’il le faut. Ici, une femme n’est plus bonne qu’à la prostitution».
Vladimir, jeune homme d’affaires de 29 ans rencontré devant le siège de la présidence, en veut aussi à la politique économique de Voronine. «Sous cette appellation de "communiste" se dissimulent les pires capitalistes peut-être de toute l’Europe. Toutes les richesses du pays sont accaparées aux mains de quelques proches du Président, et malheur à celui qui veut développer son propre business.» Vladimir raconte avoir lancé son entreprise de transport routier, puis renoncé, écrasé par les impôts et les pots-de-vin à verser.
Vaquer. Autour de la place du Parlement, les habitants continuaient pourtant hier à vaquer, sans trop se soucier de la tentative de révolution en cours. «Beaucoup de gens s’en foutent, chacun préfère s’occuper de ses affaires», explique un chauffeur, qui partage ses journées entre les meetings et son taxi. Sans vraiment apprécier le pouvoir communiste, beaucoup de Moldaves lui savent gré d’avoir permis une certaine libéralisation de l’économie et d’avoir su aussi maintenir de bonnes relations autant avec la Russie que l’Union européenne.
«Peut-être arrivons-nous trop tard pour une révolution», commence à douter Svetlana, 25 ans, l’étudiante en relations internationales. «Vu le chaos aujourd’hui en Ukraine et en Géorgie [deux pays de l’ex-URSS célèbres pour leurs «révolutions» ces dernières années, ndlr], beaucoup ont peur d’une nouvelle révolution. La conjoncture internationale n’est pas très favorable non plus, relève la future experte. Au moment où Obama veut tenter un nouveau dialogue avec la Russie, l’Occident ne veut pas irriter Moscou en soutenant une nouvelle révolution dans son arrière-cour.» Svetlana et ses amis expliquent ainsi l’étonnant rapport de l’OSCE qui a jugé les dernières législatives globalement «conformes» aux normes internationales. Les étudiants de Chisinau se sentent un peu abandonnés.
http://www.liberation.fr/monde/0101561034-en-moldavie-il-est-peut-etre-trop-tard-pour-une-revolution